sur FRANCE 2 à 23 heures , un Documentaire exceptionnel de Didier CROS (2012) sur le Quotidien des Surveillants du Centre de Détention de CH├éTEAUDUN.
Il n’y a pas de détenu sans surveillant. Les surveillants sont les grands oubliés de la question carcérale. Soumis à une pression psychologique constante, socialement stigmatisés, peu considérés par leur hiérarchie, et risquant leur intégrité physique au quotidien, ils se sentent le plus souvent incompris.
Didier CROS, c’est sa patte, filme là o├╣ d’habitude la caméra ne s’invite pas. Par indifférence ou parce que la loi s’y oppose. Après avoir poussé les portes d’un cabinet de recrutement pour son formidable La Gueule de l’emploi, diffusé en octobre dernier sur France2, il est parvenu, fait unique dans le documentaire, à s’inviter un an durant entre les murs du Centre de détention de CH├éTEAUDUN.
Sans commentaire, dévidant le quotidien du personnel pénitentiaire en situation, le film, curieusement présenté en compétition dans la sélection Grands reportages et non dans Documentaires de création, raconte aussi, par ricochet, les parcours des détenus, saisis de profil ou de dos (1).
Refusant tout manichéisme, Didier CROS montre le dénuement parallèle des deux univers : celui des condamnés en quête de réinsertion mais que l’illettrisme, la violence enracinée, l’âge ou les troubles psychiatriques semblent condamner. Celui des surveillants, socialement stigmatisés, peu considérés par la hiérarchie et qui s’escriment, à coup de fiches cartonnées artisanales plantées dans leur planning mural, à gérer au moins mal le quotidien de la prison. Mais crescendo, par menues touches, le documentaire explore les inévitables zones de recouvrement : l’incursion de la bienveillance, la solidarité, l’inquiétude non feinte de voir l’autre sur le point de sombrer. Jusqu’à la sidérante saynète finale qui prouve que l’habit ne fait pas forcément le salaud. Esquissant une salutaire réflexion sur la prison que la société se veut.
(1) Didier CROS a réalisé dans le même temps Parloirs, le pendant de ce film, côté détenus.
cliquer ici pour voir un extrait du Documentaire sur le site de TÉLÉRAMA
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Didier Cros : ÔÇ£En prison, des cons, il y en a des deux côtés des portesÔÇØ (documentaire en streaming exclu sur Télérama.fr)
par Olivier MILOT
Le milieu carcéral est un monde opaque. Faute d’être informés de ce qui s’y passe, les politiques et le grand public en sont réduits à se réfugier dans un discours idéologique souvent caricatural. Le » répressif » de droite contre l’ » éducatif » de gauche. Didier CROS, solidement épaulé par sa productrice Hélène BADINTER, a voulu sortir de cette logique binaire. Il est resté plusieurs mois au centre de détention de CH├éTEAUDUN (Eure-et-Loir) et en a tiré deux films : un sur les surveillants
(Sous surveillance), programmé le mardi 12 juin 2012 sur France 2, l’autre sur les parloirs
(Parloirs), à voir à la rentrée.
Cette plongée au cœur du système carcéral d’un des meilleurs documentaristes du moment – on lui doit notamment
La Gueule de l’emploi et
Gendarmes (mode d’emploi) – nous vaut deux œuvres remarquables décrivant sans clichés le monde carcéral dans sa réalité quotidienne. Des films qui nous mènent insensiblement vers un questionnement critique rare : celui de l’utilité même de l’enfermement.
En avant-première de sa diffusion télé et en exclusivité,Télérama a décidé de diffuser en streaming gratuit ce documentaire passionnant et stimulant qu’est Sous Surveillance. A voir du vendredi 8 juin 2012, à 18h, au lundi 11 juin 2012, à 10h, pour ne pas rester enfermé dans ses a priori sur le monde carcéral.
Il est souvent difficile d’obtenir des autorisations pour tourner en milieu pénitentiaire, était-ce le cas pour votre film ?
├ça a été l’enfer. A l’origine, le projet était de réaliser un film sur les parloirs, ce que n’avait jamais autorisé l’administration pénitentiaire – pour des raisons de sécurité, mais aussi parce que c’est un espace qui leur échappe et o├╣ la parole est libre. Comme d’habitude, elle n’a pas opposé de refus catégorique mais a laissé traîner la demande. J’ai tenu bon et, au bout de deux ans, j’ai fini par obtenir une autorisation. J’aurais dû être heureux, mais j’étais effondré tant elle était restrictive et m’interdisait de tourner le film que j’avais en tête. Finalement, j’ai accepté les conditions, en espérant pouvoir négocier au mieux une fois sur place. Ma chance a été de tomber sur un directeur de prison qui m’a accueilli avec une incroyable ouverture d’esprit et m’a beaucoup facilité le travail. Il a compris que mon projet était de rendre compte de la complexité des choses, pas de tenir un discours militant basique.
Comment s’est déroulé le tournage ?
Avant de le commencer, j’ai passé trois mois dans la prison, sans caméra. Cela a été un voyage dans l’humain long, patient et indispensable. Il fallait montrer, aux surveillants comme aux détenus, que j’étais là sans parti pris. Le contact a été compliqué à établir. Tous étaient réticents, par crainte d’être mal regardés, mal vus. Ce travail d’approche a été encore plus difficile avec les familles de détenus tant elles se sentent stigmatisées dans notre société. Le premier film prévu sur le parloir s’en est trouvé retardé, mais, comme le directeur m’a laissé tourner librement des images dans le centre de détention, j’ai fini par disposer d’une matière extraordinaire, et petit à petit s’est greffée la possibilité de réaliser un second film.
Pourquoi avoir choisi de le consacrer aux surveillants ?
Au contact quotidien du monde carcéral, j’en suis venu à me poser la question de l’utilité de l’enfermement. On a souvent un questionnement critique sur la prison, au travers des conditions de détention des détenus, mais le principe même de son utilité n’est jamais interrogé. A force d’observation, je me suis rendu compte que le bureau des premiers surveillants était le point névralgique qui permettait d’avoir le meilleur éclairage sur ce questionnement. Les premiers surveillants représentent l’incarnation du système. Leur bureau, o├╣ défilent quotidiennement les détenus et o├╣ se traitent toutes sortes de problèmes, représente un espace très révélateur de ce système et de son impuissance. Faire de ce bureau la scène principale du film permettait aussi de me centrer sur la parole des surveillants et des détenus, et d’échapper à toute l’iconographie classique des films de prison : les barreaux, les portes qui s’ouvrent et se fermentÔǪ
En même temps, filmer dans un lieu clos complexifie le tournage. Comment vous êtes-vous accommodé de cette contrainte ?
Le bureau des premiers surveillants était minuscule, et nous n’avions aucune possibilité de recul. J’ai choisi la solution la plus simple et la plus évidente : être dans l’axe de regard du détenu. Je voulais éviter au maximum les floutages (1), être rigoureux dans le filmage de la personne que l’on regarde et ne pas aller chercher les gros plans qui ne servent à rien.
On a souvent une image très stéréotypée des surveillants, celle de matons cogneurs un peu bas du front ; en faites-vous une description assez différente ?
J’espère que ce film fera tomber quelques lieux communs sur cette profession. Les surveillants sont des fonctionnaires qui, dans leur grande majorité, effectuent correctement leur travail mais dans une logique d’indifférence. Certains, comme ceux que je montre dans le film, ont cependant envie de donner du sens à leur mission, de ne pas s’enfermer dans un travail répétitif et aliénant. On trouve encore quelques rares surveillants qui correspondent plus ou moins au fantasme du maton cogneur, mais les dérapages sont de plus en plus rares car la loi est très contraignante. Les mauvais comportements des surveillants consistent plutôt à faire attendre longuement un détenu à une grille avant de lui ouvrir ou à faire traîner une demande administrative. Il m’est arrivé d’assister à ces petites humiliations quotidiennes, mais je peux aussi témoigner de la cordialité de certaines relations entre surveillants et détenus. Contrairement à ce qu’on imagine, il y a peu de conflits entre eux.
Comment l’expliquez-vous ?
Dans les centres de détention et les centrales o├╣ sont placés les détenus condamnés à des moyennes ou longues peines, surveillants et détenus sont contraints de vivre ensemble. On sent bien sûr entre eux une tension permanente qui peut dériver à tout moment, mais dans le fond personne n’a intérêt à créer du conflit. En fait, la prison ressemble beaucoup à la vie. Une communauté humaine, avec sa hiérarchie propre et des règles très strictes en apparence, qui dans la réalité s’appliquent parfois avec souplesse et à la tête du client. L’exemple du portable est très révélateur : théoriquement, il est totalement interdit en prison ; dans les faits, chaque détenu ou presque dispose d’un téléphone, ou au moins d’une puce. L’administration pénitentiaire le sait mais elle ferme les yeux parce que ça l’arrange. La possession d’un portable calme les tensions, en offrant aux détenus un moyen de communiquer avec leurs proches. En même temps, cela donne un moyen de pression aux surveillants. S’ils ont envie d’emmerder un détenu, il leur suffit d’aller fouiller sa cellule pour l’envoyer au mitard pendant une semaine pour détention de portable.
Y-a-t-il des scènes que vous vous êtes interdit de montrer ?
J’ai filmé un détenu qui avait subi une grosse pression de la part d’autres détenus et finissait par lâcher le morceau à un surveillant. La séquence était passionnante, on sentait la terreur du type qui était en train de cracher sa réalité. Je n’ai pas pu la monter. Trop risqué. Même en modifiant la voix et en ne le montrant pas à l’image, il aurait été reconnu. La violence est très prégnante entre détenus. Le faible est immédiatement dominé, exploité. Le pouvoir a également changé de mains. Il a longtemps appartenu au monde du banditisme, il est désormais passé à celles des mômes de quartier qui ont des codes de comportement et des codes culturels complètement différents. L’attitude des surveillants à leur égard peut être ambigu├½. Pour avoir la paix, ils sont parfois tentés de s’appuyer sur des caïds qui, en général se tiennent toujours à carreau et laissent régler leurs comptes par d’autres. Un prophète, le film de Jacques AUDIARD, était de ce point de vue très juste et éclairant.
Votre propre regard sur les surveillants a-t-il changé en raison de ce tournage ?
Oui. Je ne pensais pas que certains prenaient à ce point leur mission à cœur. Ils ne sont pas formés pour remplir une mission aussi complexe, alors ils font avec ce qu’ils sont. En prison, il règne une grande misère, économique, sociale, intellectuelle et affective. Les surveillants sont souvent issus de milieux socio-économiques très proches de la plupart des détenus ; leurs conditions de travail sont extrêmement difficiles, et les taux de divorce et de suicide s’avèrent importants chez eux. Dans l’intimité de la parole, beaucoup se sentent d’ailleurs presque à égalité avec les détenus. Évidemment, ça peut paraître excessif de le dire, puisque certains sont condamnés et enfermés quand les autres travaillent librement, mais passée cette lecture rapide, il y a tout de même une réalité derrière ça. Dans ce monde, la frontière o├╣ on peut basculer du bon ou du mauvais côté est étroite. Et, comme le disent les surveillants eux-mêmes, » des cons, il y en a des deux côtés des portes « .
A la fin du film, on entend un premier surveillant s’interroger : » Est-ce que la prison sert à quelque chose ? Je suis un peu sceptique. « C’était le questionnement vers lequel vous souhaitiez emmener le téléspectateur ?
Complètement. C’est admirablement synthétisé, et comme cette interrogation émane directement d’un surveillant, sa dimension critique n’en est que plus forte. Comment remettre en cause la parole de celui qui a la charge quotidienne de surveiller les détenus ? Comment ne pas l’entendre ? On ne peut le soupçonner d’avoir un discours gauchisant, il se contente de porter un regard pragmatique sur la prison telle qu’elle existe. Je n’aurais jamais imaginé recueillir une parole aussi franche. C’est la preuve de son courage et la récompense du long temps passé avec tous les surveillants.
Comment pensez-vous que l’administration pénitentiaire va réagir à ces propos ?
Bien, j’espère. Je voudrais qu’elle comprenne que ce film sert une cause générale et peut être utile au débat. Il n’est pas critique par principe ou idéologie, sa dimension critique naît d’une observation longue de l’institution dont la complexité me semble restituée. J’espère aussi que les surveillants ne seront pas sanctionnés pour leurs propos, le risque pour eux étant d’être mutés
Comment ont réagi les surveillants quand vous leur avez montré le film ?
Je m’attendais à ce qu’ils encaissent assez mal la dimension critique du système, mais en fait ils l’ont très bien perçue. Ils ont vu dans le film une restitution réaliste de leur travail et ont accepté la critique, même à leur égard. Ce que craint maintenant l’administration pénitentiaire, à mon avis, c’est moins ce qui est dit dans le film – c’est un secret de polichinelle – que la libération de la parole des surveillants qui pourrait résulter de sa diffusion.
Le précédent gouvernement avait voté la construction de 24 000 places de prison supplémentaires d’ici 2017. A la lumière de votre expérience, quel jugement portez-vous sur cette mesure ?
Ce n’est pas la bonne réponse. Il faut d’abord distinguer les centres de détention et les centrales, des maisons d’arrêt qui, elles, débordent de détenus en attente de jugement et de condamnés à de courtes peines. C’est là qu’il faut trouver des solutions à la question de la surpopulation carcérale. Plus généralement, les prisons manquent d’effectifs. Il y a de moins en moins de surveillants par détenus, d’éducateurs, de conseillers d’insertion, de psychologuesÔǪ On supprime l’humain, l’échange. Dans ces conditions, quelle relation peut-on tisser avec un détenu? Quelle aide concrète peut-on lui apporter? Comment peut-on préparer se réinsertion? La prison est un électrochoc quand on y rentre et un électrochoc quand on en sort. La plupart des détenus sont en rupture familiale, sociale et parfois affective. Plutôt que de construire de nouvelles prisons, on devrait se concentrer sur l’accompagnement des détenus en prison mais aussi à leur sortie. S’ils ne sont pas suivis à ce moment-là, tout le travail accompli en prison aura été vain. Or depuis des années, on a totalement laissé tomber cette question qu’on sous-traite à des associations, dont les moyens ne permettent qu’une action limitée dans le temps.
(1) les détenus ne doivent pas être reconnaissables à l’image, sauf s’ils donnent leur accord, et si la DAP n’impose pas le floutage, sous les prétextes les plus farfelus, comme tel est le cas pour LE DÉMÉNAGEMENT, de Catherine RECHARD, censuré depuis un an. La DAP veut, en effet, imposer un floutage qui « tuerait » le film. Michel MERCIER et Frédéric MITTERRAND se sont, à jamais déshonorés, en laissant faire cette censure.