En mai 1943, Henri GIRARD fait la Une des journaux : accusé d’un triple meurtre au Château d’ ESCOIRE devant la Cour d’Assises de la DORDOGNE. Il est acquitté. Qui peut alors imaginer que – sept ans plus tard – Henri GIRARD fera encore la une sous le pseudonyme de Georges ARNAUD, mais cette fois-ci pour un roman appelé à un énorme succès, « LE SALAIRE DE LA PEUR ».
C’est l’histoire étonnante qu’a publiée Dominique RICHARD, grand reporter à SUD-OUEST, ce dimanche juillet 2010, et que nous reproduisons intégralement. On trouvera, en fin d’article un lien intéressant vers un autre article : Roger MARTIN, biographe de George ARNAUD, est persuadé de son innocence.
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Le couperet de la guillotine est passé si près
En 1943, le futur écrivain Georges ARNAUD, accusé d’avoir tué son père, sa tante et une domestique à coups de serpe à ESCOIRE (24), était acquitté à l’issue d’un procès qui avait tenu la FRANCE en haleine.
Printemps 1943. Le vent mauvais dénoncé par le maréchal Pétain souffle déjà depuis plusieurs mois sur le Périgord occupé o├╣ miliciens et maquisards s’apprêtent à en découdre. Le 27 mai, au matin, les hommes en uniforme qui ceinturent le palais de justice de PERIGUEUX ne sont pourtant pas là pour prévenir un coup de main de la Résistance. Ils contiennent à grand-peine la foule des badauds par l’odeur du crime attirés. ├égé de 26 ans, l’homme de grande taille, à l’épaisse chevelure rousse, qui entre dans le tribunal par une porte dérobée, est promis au pire. Á quelques centaines de mètres de là, le gardien-chef de la maison d’arrêt a déjà fait préparer la cellule des condamnés à mort. Qui peut alors imaginer que sept ans plus tard Henri GIRARD fera encore la une sous le pseudonyme de Georges ARNAUD, mais cette fois-ci pour un roman appelé à un énorme succès, » Le Salaire de la peur » ?
Décédé en 1987, Henri GIRARD a emporté dans la tombe les secrets du triple crime du château d’ESCOIRE, un vaste logis du XVIIIe siècle agrémenté d’une rotonde et joliment perché sur un mamelon rocheux à une quinzaine de kilomètres de PERIGUEUX.
Le 25 octobre 1941 au matin, son père Georges, un haut fonctionnaire du gouvernement de Vichy, sa tante Amélie et Louise SOUDEIX, la bonne de la famille, avaient été découverts baignant dans leur sang. Tous les trois avaient été sauvagement frappés pendant la nuit à l’aide d’une serpe appartenant à Romain TAULU, le gardien de la propriété. Dans les heures précédant le crime, Henri GIRARD l’avait utilisée pour élaguer des arbustes.
Le frère et la sœur avaient été surpris dans leur lit, au rez-de-chaussée du bâtiment, la domestique tuée au moment o├╣ elle tentait de leur porter secours. Ce soir-là, Henri GIRARD n’avait pas regagné sa chambre habituelle. Il s’était réfugié à l’autre l’extrémité du château et s’était assoupi après avoir lu quelques pages du " Sens de la mort " de Paul BOURGET, l’un des auteurs en vogue de l’époque.
Á la fin de sa vie, Georges ARNAUD a réalisé de nombreux reportages pour la télévision française. Chaque fois qu’il venait dans le Sud-Ouest, il faisait fréquemment un détour par Périgueux, o├╣ il passait un moment avec Me Abel LACOMBE, son "avocat de proximité" pour reprendre l’expression du gendre de ce dernier, Me Michel LABROUE. Entre 1941 et 1943, Me Abel LACOMBE rendait visite chaque semaine à Georges ARNAUD en prison. Ce fut son plus fidèle soutien. Plusieurs dimanches, en compagnie de son épouse et sa fille Monique, l’avocat a arpenté les environs d’ESCOIRE dans l’espoir de découvrir les vêtements ensanglantés que l’assassin avait forcément dû abandonner. En vain. Une grande complicité liait l’écrivain à celui qui l’avait défendu aux côtés de Me GARCON. Me Abel LACOMBE, décédé en 1994, a été sans doute le seul à recevoir les confidences de Georges ARNAUD. Mais il les a emportées dans la tombe. "Il savait peut-être ce qui s’était vraiment passé", reconnaît Me Michel LABROUE. Jeune avocat, il a eu l’occasion de croiser Georges ARNAUD dans le cabinet de son beau-père de la rue Combe-des-Dames. " La première fois que je l’ai vu, il m’a immédiatement dit quelque chose du genre : "Voila la bête curieuse mais je ne suis pas coupable". "
Aucune trace d’effraction
Là o├╣ il dormait, Henri GIRARD ne pouvait pas entendre les hurlements des siens. Bien qu’il soit le premier à donner l’alerte, au réveil, il ne faut que quelques heures au voisinage pour lui prédire la guillotine. Les gendarmes viennent à peine d’investir les lieux qu’il s’isole dans la cuisine et s’attable devant une bouteille de vin. Un peu plus tard, il se met au piano et joue " Tristesse " de CHOPIN. Quelques jours plus tôt, en arrivant à PERIGUEUX, il avait passé la nuit au Grand Cinq, la maison close de la vieille ville. L’homme a toujours vécu en marge de la morale et de la religion et au grand large des convenances.
Étudiant attardé, ce fils de bonne famille n’a manqué de rien pendant sa jeunesse, sauf sans doute d’affection. Il a souffert de la disparition prématurée de sa mère et du retrait de son père, incapable de supporter ce deuil. L’argent brûle les doigts de ce noceur. Il a déjà vendu la bague de fiançailles de son épouse. Au début de la guerre, la police l’a même soupçonné d’avoir perçu une rançon en simulant l’enlèvement de sa tante. Après la mort épouvantable des siens, cet épicurien aux poches crevées hérite du château ainsi que de plusieurs propriétés dans la région parisienne et d’un portefeuille de titres. De quoi le renflouer.
Désireux d’intégrer le Conseil d’État, Henri GIRARD, licencié en droit, vit mal le fait de devoir prêter serment au maréchal PETAIN. Il assure s’être déplacé en Dordogne pour recueillir l’avis de son père. Le soir du drame, il maintient avoir conversé avec lui jusqu’à 22 heures avant d’aider sa tante à préparer son lit. Les policiers, qui l’interrogent sans relâche pendant trois jours, n’en croient pas un traître mot. Ce n’est pas tant son gant retrouvé sur une flaque de sang coagulé que le témoignage de René TAULU qui les intrigue. Ce soir-là, le fils des gardiens rendait visite à un voisin. Vers 21 h 30, il n’avait pas distingué un seul rai de lumière en passant devant le château.
Les premières constatations incitent à penser que la tuerie a été l’œuvre d’un familier. Il n’y a aucune trace d’effraction, rien n’a été volé et, hormis un vasistas de WC désaffecté, la seule issue ouverte est la porte-fenêtre de la cuisine par o├╣ Henri GIRARD assure être passé le matin avant de crier à la vue du massacre. Après être descendu de sa chambre, il aurait dû emprunter le couloir desservant l’espace habité par son père et sa tante. La porte permettant d’y accéder avait été verrouillée de l’intérieur. Détail gênant, la pièce o├╣ il a dormi abrite l’interrupteur qui permet de couper l’électricité dans l’édifice. Or, il semble que les victimes ont été massacrées dans l’obscurité, une panne de courant les ayant probablement contraintes à se coucher plus tôt que prévu. Amélie GIRARD gisait vêtue de son corsage à proximité du placard o├╣ était pliée sa chemise de nuit.
Peine de mort requise
Immédiatement après avoir enterré son père, Henri GIRARD est jeté en prison par le juge d’instruction Joseph FARISY. Il n’y a pourtant ni preuves ni aveux. Dix-neuf mois plus tard, lorsque le conseiller HURLEAUX ouvre la session de la cour d’assises devant une nuée de correspondants de presse, l’accusation n’a pas beaucoup progressé. 80 témoins ont été cités. Parmi eux, 15 des 100 habitants d’ESCOIRE venus dire à la barre tout le mal qu’ils pensent de ce Parisien aux mœurs bizarres. Les plans du château ont été accrochés au mur de la salle à la demande du président. Soucieux d’éclairer les jurés, il a même fait affréter un car pour que la cour et les avocats puissent déambuler dans le château sanglant. Judicieuse idée. Sur place, un juré remarque la présence d’un second interrupteur dont l’existence avait échappé à la sagacité des policiers.
Me Maurice GARCON, le conseil d’Henri GIRARD, a tôt fait de remarquer que la chambre de son client ne comporte aucun lit. Comment lui reprocher de ne pas y avoir dormi la nuit du crime ? Membre de l’Académie française, le ténor parisien est sans doute le plus brillant plaideur de l’époque. Georges GIRARD était son ami. Il a longuement hésité avant d’accepter de défendre son fils accablé par les manchettes de la presse populaire. Le juriste a beau s’être plongé dans le dossier au dernier moment, il n’a pas tardé à débusquer les failles de l’accusation.
Annoncée comme capitale, la déposition de René TAULU, le fils des gardiens, ne résiste pas longtemps au feu roulant de ses questions. Pourquoi les quatre chiens des métayers n’ont-ils pas aboyé lors de son passage nocturne ? Pourquoi affirme-t-il qu’Amélie GIRARD avait l’habitude de se coucher vers 21 h 30, alors qu’il venait juste de revenir à ESCOIRE après huit mois passés dans les chantiers de jeunesse ? Le jeune homme ne tarde pas à faire pâle figure. L’avocat général SALINGARDES a beau requérir la peine de mort, il est bien en peine de fournir la preuve irréfutable de la culpabilité. " Henri GIRARD s’apparente aux criminels d’expérience qui résument leur règle de conduite en cette maxime : "n’avouez jamais" ", martèle le magistrat contraint à dire des généralités.
Absence de preuves
L’époque était troublée, l’instruction avait été réduite à la portion congrue par manque de moyens. Les rares expertises n’étaient pas probantes. L’analyse des estomacs des cadavres n’a pas permis de préciser le degré d’avancement de la digestion. Henri GIRARD peine certes à expliquer l’origine des ecchymoses observées sur la paume d’une main. Mais rien ne prouve qu’elles soient liées à l’utilisation de la serpe. L’outil a été aiguisé avec une meule. Et il fallait être deux pour actionner celle des TAULU.
Me GARCON a beau jeu de dénoncer une enquête à charge focalisée sur la personnalité de son client. Pourquoi n’a-t-on pas vérifié que les taches découvertes sur un pantalon appartenant au gardien correspondaient bien à du sang de lapin, comme ce dernier le soutenait ? Pourquoi n’a-t-on pas enquêté sur ces inconnus dont les allées et venues avaient été observées autour du château peu avant le drame ? Le 2 juin 1943 au matin, lorsque l’avocat se rassoit sur son banc, il a conquis les cœurs et les esprits. Le délibéré sera l’un des plus rapides des annales des assises. En 10 minutes, les jurés acquitteront Henri GIRARD sous les vivats du public. Quelques heures plus tard, ce dernier déposera plainte pour assassinat. En vain. La seule initiative que prendra le juge d’instruction consistera à faire évaluer son héritage !
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Roger MARTIN, biographe de George ARNAUD, est persuadé de son innocence.