mar 142010
  

 

analyse, par François KORBER :

Le CONSEIL D’ÉTAT examinait le mercredi 10 mars la requête que j’avais déposée pour demander l’annulation d’un décret pris par Rachida DATI dans le but de contourner la loi du 15 juin 2000 qui reconnaissait le droit pour tous les prévenus à bénéficier d’une cellule individuelle.

Je reviens sur les enjeux de cette affaire, l’avis du Rapporteur Public et les suites que je compte lui donner.

 

L’article 68 de la loi du 15 juin 2000 (présomption d’innocence) reconnaissait le droit, pour tous les prévenus , de bénéficier d’une cellule pour eux seuls, s’ils le désiraient : autrement dit, le droit de ne pas croupir à 2, 3 ou 4 dans une fosse de 9 mètres carrés. Loi discriminatoire, cependant, car elle « oubliait » les condamnés qui, eux, dans la même maison d’arrêt, pouvaient s’entasser à 2, 3 ou 4 en attendant leur « transfert » vers un C.D. ou une M.C. pendant 2, 3 ou 4 ans… Cette loi devait entrer en vigueur le 16 juin 2003.

Compte tenu de la surpopulation carcérale – liée, notamment, à un manque de moyens pour favoriser les aménagements de peine, les libérations conditionnelles et leur suivi – un article rajouté à … une loi sur la violence routière (!) , le 12 juin 2003, prolongeait le délai d’entrée en vigueur de 5 ans, jusqu’au 13 juin 2008.

Dans le dessein évident de contourner la loi, Rachida DATI prenait, le … 10 juin 2008 – à la veille de l’entrée en vigueur de la loi – un décret totalement farfelu (art. D. 53 – 1 du C.P.P.) permettant à un prévenu d’obtenir éventuellement une cellule individuelle à l’autre bout de la FRANCE… Pratique , pour voir sa famille ou pour l’exercice des droits de la défense ! On trouvera le texte intégral de ce décret à la page 7 de la REQU├èTE que j’ai, alors, déposée devant le CONSEIL D’ ÉTAT pour demander l’annulation de ce décret. L’ O.I.P. déposait, au même moment, une REQU├èTE analogue.

Parallèlement – le sujet étant le même (droit des personnes détenues) – j’ai demandé au CONSEIL D’ÉTAT, dans la même REQU├èTE pp. 16 – 24 , d’annuler le vieux décret du 23 mai 1975 (art. D.145 et D. 146 du C.P.P.) qui crée une intolérable discrimination au regard de la durée possible des permissions de sortir selon qu’un condamné se trouve en Maison d’Arrêt ou en Centre de Détention. Bien que le décret soit ancien, un grand principe de Droit Administratif – le principe de mutabilité du Service Public (voir texte ici) – impose au Juge Administratif d’examiner un recours de ce type, pour peu qu’il soit sérieusement fondé. Il l’était, puisque j’avais préalablement demandé l’abrogation du décret litigieux. Je vous invite à lire ce RECOURS in extenso.

Notons, enfin, que la loi du 24 novembre 2009 (loi pénitentiaire) prévoyait une ultime (?) dérogation à l’encellulement individuel pour 5 ans, jusqu’au 25 novembre 2014, plusieurs Sénateurs ayant courageusement lutté pour « sauver » ce droit que Michèle ALLIOT-MARIE – succédant à Rachida DATI sans les paillettes mais avec la même férocité – entendait supprimer.

le Conseil d’État condamné par STRASBOURG ?

Dans des conditions iniques, ce dossier a été examiné au Conseil d’État – à la sauvette – ce mercredi 10 mars 2010. Je n’avais pas été avisé de la date d’audience qui a, semble-t-il, été fixée in extremis. J’ai appris cette audience le dimanche 7 mars en fin de journée par hasard … via une alerte GOOGLE. Je vais exiger la réouverture des débats. Faute de quoi, les « braves gens » qui ont organisé ce tour de passe-passe auront des explications à fournir – sous peu – à la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Il serait assez farce de voir le CONSEIL D’ ÉTAT condamné par STRASBOURG pour « atteinte aux droits de la défense ». Mais il est vrai que l’État de Droit ne cesse de reculer depuis 10 ans dans l’indifférence la plus totale des « Institutions » et de la plupart des « Institutionnels ». Mon avocate, désignée au titre de l’Aide Juridictionnelle, était absente, sans même m’avoir averti ni de la date d’audience ni de sa désertion. J’attends ses explications écrites avant de saisir le Conseil de l’Ordre pour « faute lourde ».

Mais le plus grave est venu du Rapporteur Public, Mattias GUYOMAR. Ce surprenant magistrat dispose d’un « Fan Club de Mattias GUYOMAR » (!) … sur FACE BOOK et vient de bénéficier d’une fulgurante promotion près le Tribunal des Conflits par décret du Président de la République en date du 4 novembre 2009. Il a écarté mon RECOURS sur les permissions de sortir au nom d’une jurisprudence (Dame Fargeaud d’Epied) que je connais parfaitement mais qui n’est pas applicable en l’espèce puisque le Juge Judiciaire (la Cour de Cassation) s’est déjà « prononcé » sur cette question, sans prendre position, dans un médiocre arrêt du 12 mars 2008. Le Rapporteur Public a, d’autre part, totalement « oublié » le principe de mutabilité du Service Public…

Il a, surtout, développé l’idée que le décret du 10 juin 2008 relatif à l’encellulement individuel était un excellent décret qui ne « dénaturait » pas la loi, invitant le CONSEIL D’ÉTAT à rejeter le RECOURS contre ce décret. Si – par malheur – il devait être suivi, l’arrêt du CONSEIL D’ ÉTAT signifierait la « mort » du droit à l’encellulement individuel.

Cette décision serait tragique pour des dizaines de milliers de futurs prévenus et condamnés entassés dans les geôles de la République, et dont se désintéresse M. GUYOMAR. Nous savons tous que, le 25 novembre 2014, il n’y aura pas suffisamment de places disponibles pour permettre le respect de ce droit fondamental pour tout être humain : être seul dans ses 9 mètres carrés, sans devoir subir (et vice-versa) les rots, les pets, la musique ou les ronflements de 2 ou 3 codétenus, alors qu’il veut faire des études, « rêver », dormir ou écrire tranquillement à son épouse et à ses enfants. La Prison tue. La Prison avilit et salit. La Prison est l’ École du crime et du délit. La Prison n’est pas un lieu de « réinsertion » mais de déchéance.

Nous savons tous que les peines alternatives à la prison ne seront pas mises en œuvre avant … des années, faute, notamment, de travailleurs sociaux (S.P.I.P.) pour en assurer la préparation et le suivi . Le très remarquable rapport du contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté – Jean -Marie DELARUE – vient, précisément, de le souligner ce même tragique mercredi 10 mars. Alors, les suicides et la déchéance vont continuer « tranquillement » si j’ose dire… Et, le 25 novembre 2014, l’Administration pénitentiaire et la Chancellerie – avec leur habituel cynisme – pourront dire, en toute sérénité : « Certes, vous avez le droit de demander à être seul en cellule. Nous n’avons pas de place ici. Mais il y a peut-être une place à l’autre bout de la FRANCE… Cela vous irait ? ».

Sur le plan juridique, je n’ai pas dit mon dernier mot (A SUIVRE…). Et, plus que jamais, l’association « ROBIN DES LOIS » et l’équipe qui m’entoure va se battre, en priorité, pour le seul combat urgent qui soit concret et rapidement réalisable : le numerus clausus. Des personnalités très diverses prônent cette mesure de bon sens . Nous allons tenter de les fédérer pour un combat très consensuel, au-delà de tous les clivages politiques ou associatif

François KORBER
délégué général de « ROBIN DES LOIS »

prison

 

Cette affaire dans la Presse :

L’Humanité du 11 mars 2010

Le Figaro du 10 mars 2010

Le Nouvel Observateur du 11 mars 2010


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